La présence saxonne et angLo-saxonne
sur Le LittoraL de La Manche
par Jean Soulat 1
Les migrations de trois peuples, Saxons, Angles et Jutes, par voie
maritime, et celles d’autres peuples germaniques comme les Francs, par
voie continentale, traduisent le point de départ de la question abordée
dans cet article, l’étude du mobilier de type saxon et anglo-saxon sur le
littoral de la Manche. Le but étant de permettre une meilleure connaissance de l’histoire grâce à l’apport de l’archéologie. Dès leur installation dans leurs régions d’accueil, ces groupuscules et communautés ont
occupé ces littoraux, de la Manche à la Mer du Nord, en se mêlant à la
population autochtone, créant ainsi un territoire côtier homogène. Ce
phénomène s’observe également Outre-Manche, entre le Kent et l’East
Anglia. Ces différentes régions vont alors devenir des pôles de contacts
où les flux de populations, le commerce et les influences s’entremêlent.
Dès la deuxième moitié du ve siècle, à la suite de ces migrations, des
changements se produisent dans la culture matérielle où une acculturation se développe entre ces communautés de « Germains de la Mer » et
les populations locales.
À travers l’étude typochronologique de ces témoins allochtones,
saxons et anglo-saxons, découverts dans la moitié nord de la Gaule mérovingienne, nous espérons pouvoir apporter des éléments nouveaux sur
la question des contacts transmanche. Plusieurs typologies et travaux
avaient été effectués sur la question des Anglo-Saxons dans le nord de la
Gaule mérovingienne, mais un inventaire complet n’a jamais été entrepris2. L’étude de trois régions, la basse vallée de l’Orne, le Ponthieu et le
1. — Doctorant en histoire et archéologie médiévales. Universités de Paris I et Lille 3.
2. — Dans le cadre du Master préparé en 2006-2008 à l’université Paris 1 s’intitulant, Le mobilier de type anglo-saxon entre le littoral de la Manche et la vallée de l’Escaut à
l’époque mérovingienne, sous la direction de J. Burnouf, P. Périn et L. Verslype.
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JEAN SOULAT
Boulonnais, a été déterminante pour mieux comprendre l’installation de
communautés saxonnes et anglo-saxonnes sur le littoral de la Manche
entre la fin du ive et le début du viie siècle (Fig. 1). Ces objets issus
majoritairement des contextes funéraires, mais aussi domestiques, vont
permettre de visualiser les phases chronologiques.
La terminologie
Au travers des précédents travaux réalisés sur le sujet, on perçoit
l’emploi d’une terminologie qui manque parfois de clarté pour définir
ce mobilier caractéristique de la culture anglo-saxonne. En effet, on
évoque ces objets en parlant d’une « origine », d’une « influence » ou
d’un « caractère » anglo-saxon. Ces termes, semblant similaires, n’ont pas
la même signification archéologique. Lorsque l’on parle d’une « origine »
anglo-saxonne de l’objet, on fait référence à une origine insulaire, alors
que cette hypothèse n’est pas à généraliser pour l’ensemble du mobilier
étudié. L’utilisation des termes suivants, d’une « influence » ou d’un
« caractère » anglo-saxon, font plutôt référence à un objet fabriqué sur
le continent, en Gaule du Nord. Nous avons donc préféré uniformiser la
terminologie en employant une distinction pour ces objets comme étant
de « type » anglo-saxon. C’est un terme neutre qui n’évoque pas le fait
d’une fabrication insulaire ou continentale. Il faut également ajouter le
problème de la signification du terme « anglo-saxon » qui n’a pas la même
consonance en Angleterre et en France. En effet, pour les archéologues
britanniques, ce terme est propre à la période chronologique « Early
Anglo-Saxon », période qui s’échelonne entre 400 et 1 000 après J.-C.
Du côté français, on utilise ce terme pour caractériser le mobilier de la
culture matérielle anglo-saxonne. Cette différence a donné lieu à des
problèmes liés à l’interprétation de certains objets.
Le mobilier inventorié se définit en deux groupes : les objets de type
saxon d’origine continentale et les objets de type anglo-saxon d’origine
insulaire. Cependant, certains d’entre eux peuvent être fabriqués localement par ces populations nouvellement arrivées et donc non issus des
migrations et du commerce, mais plutôt des traditions et des influences
qui se développent sur le continent.
D’un point de vue méthodologique, la démarche est clairement
définie. Le mobilier de type saxon, donc d’origine continentale, est
issu des migrations parties de la région de Basse-Saxe et du SchleswigHolstein pour arriver dans la vallée de l’Escaut, sur l’axe rhénan et entre
les deux rives de la Manche. Ces migrations sont datées d’entre la fin du
iiie et le dernier quart du ve siècle. Le mobilier appartenant à ces groupuscules ou à ces petites communautés nouvellement arrivés est associé
à cette fourchette chronologique. Ces objets de type saxon continentaux
LA PRÉSENCE SAXONNE ET ANGLO-SAXONNE SUR LE LITTORAL
149
Fig. 1 : Carte de répartition du mobilier de type saxon et anglo-saxon (J. Soulat).
appartiennent à la culture matérielle saxonne, différente sur certains
points, de celle connue dans les communautés anglo-saxonnes installées
en Bretagne insulaire. De ce fait, le mobilier de type anglo-saxon est
uniquement découvert en Bretagne mais aussi sur le littoral de la Manche
grâce à plusieurs phénomènes tels que les migrations, les échanges, les
traditions et les influences. Le mobilier de type anglo-saxon issu de la
culture matérielle insulaire, mêlant des éléments continentaux tardifs
et des apports provenant de la mixité entre les populations romanobretonnes et saxonnes, succède aux objets de type saxon. Du point de vue
chronologique, il est donc plus tardif, repéré entre la deuxième moitié du
ve et le viie siècle. On peut d’ailleurs remarquer que la courte phase entre
la moitié et le dernier quart du ve siècle est une période charnière pour
les deux cultures matérielles. D’après la typochronologie, le mobilier de
type anglo-saxon est donc différent de celui de type saxon.
À travers les événements historiques
Les premières arrivées de migrants germaniques dans les territoires
occidentaux sont attestées à la fin du iiie siècle pour pallier le manque
de soldats romains postés sur le littoral de la Manche et ainsi contrer
les incursions et les raids venus par voie maritime ou continentale. Les
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JEAN SOULAT
régions allant de la Flandre maritime au rivage armoricain accueillent
des contingents germaniques incorporés dans l’armée romaine. Ces
fortifications sont sous le commandement du Dux Tractus Armoricani
et Nervicani. On peut émettre l’hypothèse qu’un commandement militaire était commun aux deux rives de la Manche. À travers ce phénomène, on retrouve donc une homogénéité et une contemporanéité le
long des côtes de la Manche. Dès le début du ve siècle, autour de 410,
les troupes romaines postées en Bretagne sont rappelées en Gaule par
Constantin III. De ce fait, de plus en plus de Germains sont intégrés
dans l’armée romaine comme auxiliaires (Seillier 1993). Ces Germains,
arrivés avec leur famille, s’installent au sein d’établissements le long de
la zone littorale et accentuent la présence de lètes dans des secteurs stratégiques et dépeuplés (Verslype 2007). Théodose (379-395) y établit
des contingents germaniques sur le littoral comme des Saxons à Vron
(Somme) et des Thuringiens à Oudenburg (Flandre Occidentale). Les
véritables fédérés, qui agissent au nom de l’Empire, joueront ensuite un
rôle important dans la transition du ve siècle. Chaque groupe germanique
a un rôle précis dans le contrôle et la défense du territoire (Seillier 1993).
Ces auxiliaires encadrent désormais les populations des régions qu’ils
protègent et organisent, en plus de leur seule communauté (Verslype
2007). Le mobilier funéraire rencontré dans les sépultures du ve siècle
dénote un phénomène d’acculturation (Seillier 1993). Enfin, notons
l’hypothèse de l’« Otlinga Saxonia », probable territoire entre le Bessin
et le Boulonnais occupé, à partir des ive-ve siècle, par le chef saxon Otil
avec quelques guerriers (Lorren 1980). Ces Saxons continentaux, venus
par la mer, ont probablement profités de la percée du limes en 406. On
pense que ce groupe se serait installé dans la basse vallée de l’Orne, zone
propice à l’installation d’établissements commerciaux. Cette « Otlinga
Saxonia » traduit peut-être une des premières traces de la présence d’une
communauté saxonne en Basse-Normandie.
Dans le sillage des Francs, on voit apparaître dans le nord de la Gaule
plusieurs autres peuples de la Mer du Nord qui colonisent à nouveau les
régions maritimes septentrionales. Suite au développement des fonds
de cabanes excavés sur les mêmes sites, à proximité d’anciens établissements antiques, on voit se dessiner de nouveaux modes d’occupation et
d’exploitation des campagnes (Verslype 2007). Les communautés et les
groupes saxons, venus occuper les littoraux et les vallées fluviales, vivent
en adéquation avec les populations locales gallo-romano-franques. Ces
Saxons, sous l’autorité de leurs propres chefs, sont régis par l’administration romaine toujours en vigueur. Ils occupent des domaines abandonnés du fisc ou des villas d’anciens sénateurs et de riches propriétaires
terriens pour remettre en valeur les provinces dévastées (Lorren 1980,
LA PRÉSENCE SAXONNE ET ANGLO-SAXONNE SUR LE LITTORAL
151
1992). À partir de la fin du ve siècle jusque dans le premier quart du
vie siècle, de l’estuaire de l’Escaut aux rivages de la Manche, se côtoient de
nombreuses tombes à armes dites franques avec des sépultures féminines
associées à des éléments alamans, thuringiens et saxons (Verslype 2007).
La présence d’inhumations de chevaux et de sépultures à incinération est
également attestée durant cette période (Seillier 1989a).
Entre la deuxième moitié du ve et le début du vie siècle, un phénomène géo-démographique se remarque. Plusieurs pôles de concentration
d’objets de type saxon sont identifiés le long des littoraux démontrant
des implantations plus denses de communautés saxonnes et bientôt
anglo-saxonnes. À travers le témoignage du mobilier de type saxon dans
certaines régions comme le Ponthieu, le Boulonnais ou le tronçon nord
de la vallée de l’Escaut, on passe d’une phase d’installation précoce, liée
à des problèmes politico-militaires, à une phase d’occupation durable,
mêlant ainsi les communautés saxonnes et germaniques aux populations
autochtones. Ces Saxons restent dans ces régions et entrent bientôt en
contact avec les populations anglo-saxonnes installées de l’autre côté de
la Manche. Les échanges s’accentuent entre les deux rives mais également
entre les territoires autour de la vallée de l’Escaut. Des pôles de concentration d’objets caractéristiques sont présents en forte quantité dans le
Ponthieu, le Boulonnais et le long de l’Escaut.
Entre la fin du ve et la première moitié du vie siècle, au sein de certains
contextes funéraires à proximité de ceux où du mobilier de type saxon
a été remarqué, on retrouve des éléments issus de la culture anglosaxonne. Il semblerait que deux hypothèses majeures entrent en ligne
de compte. Ces nouveaux témoins pourraient être le fruit de contacts
entre les deux rives de la Manche mais ils ont très bien pu être amenés
par des nouveaux migrants venus retrouver quelque sérénité sur le littoral
gaulois suite aux évènements déclarés dans le sud-est de la Bretagne
insulaire. Il est évidemment plus logique de supposer que ces migrations de communautés anglo-saxonnes s’orientent vers des régions à la
fois proches géographiquement et familières car déjà occupées par leurs
« cousins » saxons. Néanmoins, il ne faut pas négliger la propagation des
influences et des traditions dans la production artisanale de céramiques
ou d’éléments de parure. On retrouve donc, dès la fin du ve siècle, des
nécropoles avec du mobilier de type anglo-saxon localisées entre les côtes
calaisiennes et picardes. Dans la Somme, à Vron, où les traces de l’installation saxonne sont les plus parlantes, on remarque bien la succession des
phases chronologiques attestant la présence de communautés saxonnes
puis anglo-saxonnes (Seillier 2006). Dans le même temps, dans la
basse vallée de l’Orne, en particulier à Frénouville, un petit groupuscule
anglo-saxon est repéré dans le secteur nord-est de la nécropole (Pilet
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JEAN SOULAT
1980, 1992). Les défuntes sont identifiables grâce à leur parure similaire
à celle des femmes anglo-saxonnes, comprenant notamment des button
brooches à masques humains et des square-headed brooches.
Une nouvelle migration anglo-saxonne est identifiée au vie siècle, en
Flandre maritime, comme en Boulonnais et en Basse-Normandie. En
Flandre maritime, elle est matérialisée par les établissements côtiers dans
la région d’Oudenburg/Bruges où le plus remarquable, celui de Roksem,
témoigne de la culture anglo-saxonne d’après un mobilier caractéristique
et des traditions architecturales intéressantes (Hollevoet 2007). Dans
le Boulonnais, le long de la Canche, la nécropole de La Calotterie dénote
d’une implantation anglo-saxonne datant du vie siècle (Desfosses, Dilly
et al. 1997). De plus, quelques éléments tels que certaines fibules témoignent du commerce avec le Kent. En Basse-Normandie, autour de la
basse vallée de l’Orne, les nécropoles de Giberville et Sannerville dénotent
également d’une présence anglo-saxonne. À Giberville, on repère même
un secteur, probablement fondateur de la nécropole, avec une concentration très intéressante de mobilier de type anglo-saxon et de pratiques
funéraires germaniques (Pilet 1990, Soulat à paraître). De plus, l’habitat de la Delle sur le Marais, présent sur la même commune, suggère,
sur la base d’une céramique caractéristique, qu’une petite partie de la
communauté exploitante était d’origine insulaire (Soulat à paraître).
Distinction typochronologique
Le mobilier de type saxon
Les objets de type saxon, dits « continentaux », sont issus des migrations saxonnes originaires de Basse-Saxe et du Schleswig-Holstein. Ces
petites communautés germaniques, comme celles installées à Vron, occupent le littoral gaulois dans les garnisons préconisées pour la défense du
Litus Saxonicum dès la fin du iiie siècle. Des objets rattachés à la culture
matérielle saxonne, retrouvés sur le littoral de la Manche, sont datés entre
la fin du ive et la fin du ve siècle, entre les années 380 et 480 (Böhme
1974). On retrouve au sein de certaines sépultures essentiellement des
éléments de parure féminine comme des disc brooches à trou central, des
disc brooches à décors variés, des radiate-headed brooches de différents
types, des crossbow brooches, des épingles à tête conique et des supporting-arm brooches d’influence germanique (Fig. 2). De la céramique de
tradition germanique, dont le faciès décoratif rappelle les productions
de Basse-Saxe, a également été découverte. Comme pour les céramiques,
certaines fibules sont fabriquées sur place au sein des établissements
côtiers saxons dans des ateliers de production (Soulat, 2009).
Les disc brooches à trou central sont très répandues en Bretagne insulaire, surtout dans la vallée de la Tamise et dans les territoires du sud-est
LA PRÉSENCE SAXONNE ET ANGLO-SAXONNE SUR LE LITTORAL
153
Fig. 2 : Quelques éléments de parure féminine de type saxon (J. Soulat), n°1 : type BifronsPreures, n°2 : type Gondorf, n°3 : type Chessell Down.
(Dickinson 1979). On retrouve quelques exemplaires concentrés dans le
Ponthieu et sur le littoral. Des fibules du même type, légèrement dérivé,
se retrouvent dans la vallée rhénane et en Basse-Saxe (Böhme 1974).
Ce type de fibules n’est pas évident à interpréter. Ces disc brooches sont
probablement originaire des régions saxonnes continentales. Avec les
migrations de la fin du ive et du début du ve siècle, elles sont arrivées en
Bretagne insulaire. Au travers des changements et de l’évolution de la
culture matérielle saxonne associée à des apports romano-bretons, elles
se sont imposées dans la mode vestimentaire féminine dès la deuxième
moitié du ve siècle (Soulat 2009). De ce fait, les groupes saxons installés
sur le littoral gaulois, comme la communauté de Vron, ont adopté cette
154
JEAN SOULAT
mode parfois associée au port des radiate-headed brooches de différents
types. Ces disc brooches décorées de cercles concentriques ou de petites
incisions se rencontrent à Vron, où l’on en dénombre une dizaine, portées
seules ou par paire selon les défuntes et datant du Proto-Mérovingien,
entre la deuxième moitié et la fin du ve siècle (Legoux, Périn, Vallet
2006).
Les disc brooches à décors variés, appelées Komponierte Schalenfibeln
(Böhme 1974), sont présentes sur toute la côte, du Ponthieu à la basse
vallée de l’Orne. Il n’y a pas de concentration particulière de ces fibules.
Des exemplaires sont connus à Waben (Pas-de-Calais), Hérouvillette
(Calvados), Muids (Eure) et Sigy-en-Bray (Seine-Maritime). Des décors
zoomorphes, d’entrelacs, et de formes géométriques composent ces types
de fibules. Ces disc brooches sont datées entre la fin du ive et la première
moitié du ve siècle (Böhme 1974, 1986).
Les radiate-headed brooches des types Bifrons-Preures, Gondorf
et Chessell Down (Koch 1998), sont attestées le long du littoral de la
Manche et surtout en Picardie. On retrouve des parallèles évidents en
Basse-Saxe et principalement sur l’axe rhénan. Des exemples similaires
sont aussi présents en Bretagne insulaire comme à Bifrons et à Chessell
Down (île de Wight). Les trois types sont tous composés de trois digitations à la tête et d’un corps losangique. Certains exemplaires, comme les
paires provenant de Preures (Pas-de-Calais) ou de Vron, sont décorés de
motifs zoomorphes et de petits cercles. Ces fibules sont datées entre les
années 440 et 480, pendant la période proto-mérovingienne de Legoux,
Périn, Vallet 2006.
Des crossbow brooches ont été localisées à Vron et Frénouville. Ces
deux fibules ont une ornementation particulière qui peut laisser penser à
une fabrication locale, dans un atelier de Gaule du Nord, comme pour celle
de la sépulture 269A de Vron (Böhme 2007). L’association d’une grande
fibule avec deux paires de fibules, supporting-arm brooches et fibules
en trompette, reflète la conservation du costume féminin traditionnel
germanique (Soulat 2007). Celle de la sépulture 557 de Frénouville
est un type relativement archaïque d’après la forme. L’interprétation est
difficile mais on constate qu’un décor zoomorphe est présent (Lorren
1980). Ces fibules peuvent être datées de la fin du ive au début du ve
siècle (Böhme 1986).
Les supporting-arm brooches, fibules de type germanique, sont
présentes en nombre en Basse-Saxe, sur l’axe rhénan mais aussi en
Bretagne insulaire. On en retrouve plusieurs exemplaires sur le littoral
gaulois mais d’un type légèrement différent, le type Gaulois A (Böhme
1974, 2007). Elles sont également datées de la fin du ive à la première
moitié du ve siècle (Böhme 1974). Ces fibules sont présentes à Boulogne-
LA PRÉSENCE SAXONNE ET ANGLO-SAXONNE SUR LE LITTORAL
155
sur-Mer (Pas-de-Calais), Vron, Fécamp (Seine-Maritime) mais aussi
au sein de l’habitat de Saint-Ouen-du-Breuil (Seine-Maritime) où deux
exemplaires ont été découverts. La sépulture féminine des Capucins à
Fécamp montre un mobilier fort intéressant de tradition germanique
mettant en lien les mêmes hypothèses que pour la sépulture 269A de
Vron (Böhme 1974).
On peut citer trois exemplaires d’épingles à tête conique d’influence
germanique, à Nœux-les-Mines (Pas-de-Calais), Muids et Lisieux
(Calvados). Ces types d’épingles, datés de la première moitié du ve siècle,
se rencontrent aussi bien en Bretagne insulaire à Gilton (Kent) qu’en
territoire frison à Dodewaard et Asselt (Böhme 1974). Ces épingles à
cheveux font probablement partie du costume féminin typiquement
germanique. Cependant, elles sont l’apanage de différents peuples et il
est donc difficile de se prononcer sur leurs origines.
Enfin, au sein de l’habitat de tradition germanique de Saint-Ouendu-Breuil, plusieurs céramiques non tournées ont été découvertes
(Gonzalez, Ouzoulias, Van Ossel 2003). D’après leurs décors,
quelques-unes rappellent des productions de Basse-Saxe. Ce site, dont
les plans des principaux bâtiments sont similaires à ceux présents en
Germanie et en Frise, a une durée d’occupation relativement courte, entre
350 et 415. Cet habitat confirme la présence de communautés germaniques, possiblement saxonnes, sur le littoral dès la deuxième moitié
du ive siècle, analogues à la communauté de Vron, attestée vers 370
(Seillier 2006).
Le mobilier de type anglo-saxon
Les objets de type anglo-saxon présents dans notre inventaire trouvent
des comparaisons en Bretagne insulaire entre la fin du ve et le courant
du vie siècle. Ce mobilier caractéristique de la culture matérielle anglosaxonne se compose de button brooches, square-headed brooches, cruciform brooches, kentish disc brooches, equal-arm brooches, kentish bird
brooches (Fig. 3). On retrouve également des plaque-boucles de ceinture,
des pommeaux d’épée à anneaux du type Bifrons-Gilton, des umbos
coniques et de la céramique dont le faciès décoratif est très proche des
exemplaires présents en Bretagne anglo-saxonne.
Les button brooches, fibules cupelliformes à masque humain ou à
motif géométrique, sont réparties sur l’ensemble du littoral de la Manche
mais sont surtout connues en Bretagne insulaire. Elles sont le fruit du
mélange stylistique associant des apports saxons, romano-bretons et
surtout juto-scandinave créant ainsi des objets appartenant à une culture
matérielle différente, dite anglo-saxonne (Soulat 2009). On en retrouve
du Boulonnais à la basse vallée de l’Orne. Les fibules à masque humain
156
JEAN SOULAT
Fig. 3 : Éléments de parure féminine de type anglo-saxon (J. Soulat).
retranscrivent la culture matérielle anglo-saxonne. Elles sont datées entre
les années 450 et 550, entre le PM et le MA2 (Avent, Evison 1982). La
fibule la plus précoce provient de la sépulture 32A de Vron, dont l’ornementation et la stylistique sont radicalement différentes. Certaines
d’entre elles sont portées par paire comme dans la sépulture 91 de Ifs
(Calvados) et la sépulture 118 de Louviers (Eure) (Soulat à paraître).
La majorité de ces button brooches sont présentes en Normandie, si l’on
retire celle provenant du site de Herpes (Charente). Enfin, certaines
d’entre elles sont fabriquées localement au sein des marchés ou dans les
ateliers des établissements côtiers saxons et anglo-saxons (Soulat 2009).
Les kentish disc brooches, fibules avec incrustation de verroteries de
formes variables, sont localisées uniquement dans deux régions. Un
exemplaire provient de la nécropole de Marquise-Hardenthun (Pas-deCalais) dans le Boulonnais et cinq autres fibules proviennent de la basse
LA PRÉSENCE SAXONNE ET ANGLO-SAXONNE SUR LE LITTORAL
157
vallée de l’Orne, réparties entre les nécropoles de Giberville et Sannerville
(Calvados). Ces fibules sont datées du Mérovingien Ancien 2 (MA2),
c’est-à-dire entre les années 520 et 570 (Evison 1987). Ce sont des objets
fabriqués probablement dans le Kent, de par leur nombre important
au sein des nécropoles de Faversham, Dover/Buckland, Mill Hill ou
Bifrons (Richardson 2005). Ces kentish disc brooches reflètent un travail
minutieux dans l’ornementation issu des ateliers de production du Kent
(Richardson 2005). Cependant, on peut toujours émettre l’hypothèse
d’une fabrication locale de ces fibules au sein d’ateliers côtiers, même
si dans le courant du vie siècle, les échanges s’accentuent entre les deux
rives de la Manche.
Le port des square-headed brooches, apparaissant entre le MA1 et le
MA2, est relativement présent sur les côtes gauloises. Les exemplaires les
plus remarquables proviennent de Preures, Vron, Saint-Brice à Tournai
(Hainaut) et Giberville. Plusieurs d’entre elles sont les répliques exactes
de fibules retrouvées dans le Kent. Comme pour les button brooches, ces
fibules sont la résultante d’une association entre les influences juto-scandinaves et saxonnes. La paire de la sépulture 43A de Vron est très proche
de celles provenant des sépultures 64 de Bifrons et 203 de Finglesham
(Welch 2007). De même, celles venant de Preures et de Giberville sont
en tous points comparables aux exemplaires de Bifrons, Mill Hill ou
de Chatham Lines (Pilet, Seillier 1992). Ces kentish square-headed
brooches sont probablement fabriquées dans des ateliers du Kent.
Cependant, les fibules des sépultures 86 et 623 de Frénouville ne sont
pas très soignées dans la forme et l’ornementation. On peut supposer que
ces exemples ont été produits localement (Soulat 2009).
Deux exemplaires de cruciform brooch ont été découverts, l’un à Vron
et l’autre à Lille (Nord). Celle provenant de la sépulture 159A de Vron
était associée à une disc brooch à trou central (Seillier 2006). La défunte
était vêtue d’une parure influencée par le monde saxon et associée à un
vase en imitation de sigillée de tradition gallo-romaine. La datation de
la fin du ve siècle est donc bien confirmée. La fibule trouvée à Lille, lors
des fouilles du tramway, a été découverte hors contexte (Seillier 1996).
Elle se rapproche néanmoins d’exemplaires connus en Bretagne insulaire
et en Basse Saxe (Böhme 1986).
D’autres objets semblent être directement issus des ateliers de production du Kent comme des kentish bird brooches provenant de Bulles (Oise)
ou de Mondeville (Calvados), des equal-arm brooches de Giberville et de
La Calotterie, et des pommeaux d’épée du type Bifrons-Gilton de Fréthun
et Grenay, présents le long du littoral de la Manche. Des bractéates ont
aussi été découvertes, à Hérouvillette (Calvados), elles s’apparentent à
des modèles du Kent (Decaens 1971). Les kentish bird brooches sont
158
JEAN SOULAT
similaires en tout point à des exemplaires provenant des nécropoles
de Faversham (Kent) et Chessell Down (Soulat 2007). En outre, celle
venant de Mondeville est la copie conforme d’une fibule découverte à
Chessell Down (Arnold 1982). D’autres objets découverts sur l’île de
Wight peuvent être comparés à des exemplaires très proches de Gaule du
Nord. Une paire de fibules du type equal-arm brooch de la sépulture 30
de Giberville ressemble par exemple à des fibules issues de la nécropole
de Chessell Down (Pilet 1990). Le même constat est fait pour le Kent,
avec les pommeaux d’épée à anneaux du type Bifrons-Gilton, présents
dans les nécropoles de Bifrons, Gilton, Dover, Faversham ou encore
Finglesham (Fischer et al. 2008). Deux exemplaires trouvés au sein des
nécropoles de Fréthun et de Grenay sont très proches de ceux produits
dans les ateliers du Kent (Fischer et al. 2008). Tous ces objets découverts sur le littoral de la Manche, peuvent être issus des échanges entre
les deux rives, ils sont datés entre les années 520 et 570, durant le MA2
de Legoux, Périn, Vallet 2006.
évolution de la mode vestimentaire féminine
Concernant le mobilier funéraire, on voit évoluer la mode vestimentaire féminine germanique entre la fin du ive et le vie siècle (Soulat
2007). Pendant la fin du ive siècle et la première moitié du ve siècle, le
costume féminin saxon se distingue par le port du péplos traditionnel
maintenu par des fibules caractéristiques telles que des supporting-arm
brooches, des crossbow brooches, des fibules en trompette et disc brooches
de différents types (Böhme 1974). Avec les migrations saxonnes et scandinaves vers la Bretagne insulaire et la Gaule du Nord, cette mode vestimentaire traditionnelle évolue, concernant les contextes funéraires insulaires, et disparaît, d’après les contextes funéraires continentaux (Böhme
2007, Brugmann 1997). En Bretagne insulaire, à partir de la deuxième
moitié du ve siècle, les éléments de parure féminine évoluent et l’on voit
apparaître des disc brooches à trou central et des radiate-headed brooches
du type Bifrons-Preures et Chessell Down. Ces nouvelles fibules apparaissent grâce à l’association des différents apports stylistiques saxons,
romano-bretons et juto-scandinave (Brugmann 1997). On retrouve des
éléments similaires portés de la même façon dans plusieurs sépultures
de Vron, de Nouvion-en-Ponthieu et de Bulles (Seillier 1989b). Ce
type d’association perdure jusqu’à la fin du ve siècle (Seillier 2002).
En effet, à partir de cette période, on voit apparaître une mode dite de
« transition », associant des radiate-headed brooches à d’autres fibules
circulaires, des button brooches à masque humains caractéristiques de la
culture matérielle anglo-saxonne (Soulat 2009). À partir du deuxième
quart du vie siècle, le port de ces button brooches s’efface au profit des
LA PRÉSENCE SAXONNE ET ANGLO-SAXONNE SUR LE LITTORAL
159
Fig. 4 : Phases successives de la mode vestimentaire féminine saxonne et anglo-saxonne
sur le littoral de la Manche (J. Soulat).
kentish disc brooches (Soulat à paraître). Enfin, ces dernières seront
remplacées par des composit disc brooches dès la fin du vie siècle. On
retrouve la même évolution pour les fibules ansées asymétriques. En effet,
dès le début du vie siècle, les radiate-headed brooches sont remplacées
par le port des square-headed brooches que l’on retrouve chez les femmes
anglo-saxonnes (Soulat 2007). Malheureusement, nous manquons
d’exemples démontrant ce phénomène au sein d’une nécropole donnée.
Cependant, nous pouvons attester cette évolution vestimentaire en reprenant la typochronologie associée aux exemples de sépultures féminines
(Fig. 4). Par exemple, la jeune défunte de la sépulture 748 de Bulles (Oise)
qui porte à la poitrine une paire de disc brooches à trou central, appartient à la phase chronologique du PM de Legoux, Périn, Vallet 2006.
Ensuite, la défunte de la sépulture 629 de Frénouville (Calvados), qui a
une paire de button brooches, ressort de la phase du MA1 de Legoux,
Périn, Vallet 2006. Enfin, sur la défunte de la sépulture 27, inhumée
à Giberville (Calvados), on a retrouvé une kentish disc brooch, reflétant
ainsi le MA2. Entre la fin du ive et le courant du vie siècle, on remarque
une évolution de la mode vestimentaire féminine dans le port des fibules
circulaires et ansées asymétriques, passant ainsi d’une mode saxonne à
une mode anglo-saxonne (Soulat 2007).
160
JEAN SOULAT
interprétation
Au cours de cet article, nous avons établi la différence entre le mobilier
de type saxon et anglo-saxon découvert le long du littoral de la Manche,
du Boulonnais à la basse vallée de l’Orne. Il est intéressant de remarquer
que la grande majorité des objets retrouvés se compose de fibules, près de
119 exemplaires, aussi bien de type saxon, environ 35%, qu’anglo-saxon,
près de 65%. Un autre groupe d’objets non négligeable, la céramique, qui
regroupe près de 72 exemplaires, a été inventorié. Avec la production
locale de ces poteries caractéristiques de la culture matérielle saxonne et
anglo-saxonne3, on peut attester l’arrivée de groupuscules et de communautés saxons et anglo-saxons dans les territoires concernés (Soulat
2007). Enfin, quelques autres objets, plus atypiques, tels que du mobilier
lié à l’armement ou à la buffleterie, et dont les parallèles sont présents
en Bretagne insulaire, ont également été identifiés sur les côtes de la
Manche. Ces témoignages, datés entre la fin du ive et la deuxième moitié
du viie siècle, sont des traces qui confirment une « présence » saxonne
et anglo-saxonne, probablement due à des migrations de populations, à
la fois continentales et insulaires, à des échanges transmanche grâce aux
contacts entre les deux rives, mais aussi par le fait d’une tradition dans
la confection de certains objets, comme la céramique, ou à travers des
flux d’influences et des effets de mode.
Tombes références
Bulles 748
Hérouvillette 2
Preures 75
Sannerville 91
Vron 124A
Vron 159A
Vron 161A
Frénouville 623
Frénouville 629
Giberville 192
Nouvion 143
Preures 65
Vron 32A
Vron 99A
Vron 121A
Bulles 91
Fréthun 65
Giberville 27
Hérouvillette 11/39
Offin 13
Sannerville 39
Vron 43A
Mobilier datant
DB
RHB
RHB
DB
RHB
DB, CB
DB, RHB
SHB
BB
SHB
BB
SHB
BB, RHB
BB, RHB(F)
BB, RHB
KBB
P
KDB
B
Pl, H
KDB
SHB
PM (440-480)
MA 1 (470-530)
MA 2 (520/570)
Apports
de type
Saxon
Transition
Transition entre
les apports
saxons et
anglo-saxons
Apports
de type
anglo-saxon
Fig. 5 : Tableau typochronologique des tombes références avec du mobilier de type saxon
et anglo-saxon (J. Soulat).
Code : DB = disc brooch à trou central, RHB = radiate-headed brooch type saxon, CB =
cruciform brooch, SHB = square-headed brooch, BB = button brooch, RHB(F) = radiateheaded brooch type franc, KBB = kentish bird brooch, P = pommeau d’épée du type
Bifrons-Gilton, KDB = kentish disc brooch, B = bractéate, Pl = plaque-boucle, H = hache.
3. — Hypothèse qui s’appuie sur les travaux de V. Hincker, X. Savary et A. Bocquet
grâce aux analyses pétrographiques et chimiques (Soulat et al., à paraître).
LA PRÉSENCE SAXONNE ET ANGLO-SAXONNE SUR LE LITTORAL
161
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